Serge Reggiani, la lumière de "l'Italien" s'est éteinte
Le chanteur et acteur est mort à son domicile parisien dans la nuit du 22 au 23 juillet. Il s'était rendu populaire tout en cultivant la discrétion.
Qu'est-ce qui fait qu'un acteur, un chanteur devient populaire ? Presque rien. Un ou deux rôles où l'on finit par confondre le personnage avec son créateur, quelques ritournelles qui restent dans la mémoire, une silhouette, une dégaine qui passe les générations, les modes, le temps.
Serge Reggiani, mort dans la nuit du jeudi 22 au vendredi 23 juillet d'un arrêt cardiaque à son domicile parisien, avait acquis ce statut d'artiste populaire avec cette retenue, ce petit plus de discrétion qui lui permettait de se tenir à l'écart de la starification et qui nous le rendait étonnamment familier.
Au théâtre, sa première discipline artistique, il sera à jamais Franz von Gerlach, nazi hanté, dans Les Séquestrés d'Altona, de Jean-Paul Sartre ; au cinéma il est Manda, l'amant maudit de Simone Signoret dans Casque d'or, de Jacques Becker ; sur la scène des music-hall, en veston et pantalon noir, il endosse d'autres rôles, passant de La Java des bombes atomiques à Les Loups sont entrés dans Paris, Ma Solitude ou Venise n'est pas en Italie. Le mot de carrière ne lui convenait pas, parlons plutôt d'un parcours, d'un jeu incessant. Artisan, saltimbanque, voilà qui lui plaisait. Sur le tard, au milieu des années 1980, il s'était mis à la peinture, pour réactiver son envie de découvrir.
Serge Reggiani, né à Reggio Emilia, près de Parme, en Italie du Nord, le 2 mai 1922, est fils unique. Le père est dans la coiffure, associé avec un parent dans une boutique qui vivote. La mère, en usine depuis l'âge de sept ans, chante, à la maison, des airs d'opéra. L'Italie fasciste exalte des convictions qui ne sont pas celles de la famille, l'argent manque. Les Reggiani émigrent, arrivent à Yvetot (Normandie) en 1930. Puis c'est Paris. Serge Reggiani vit son adolescence dans ces endroits où il existe de vraies vies de quartier, Tolbiac, Charonne, le faubourg Saint-Denis.
La coiffure, Reggiani fils a bien essayé, mais il n'est pas doué. L'opéra... il a un beau timbre de baryton, fait de la figuration silencieuse au Châtelet, à Mogador pour ramener quelques francs à la maison. Quand on est un gamin des faubourgs, qu'on veut sortir d'un milieu modeste il y a aussi le sport. Le vélo, la boxe. Il s'y met, se voit champion du monde. Plus tard, il fera même du karaté. Mais c'est finalement le théâtre qui l'appelle. Attiré par le monde du spectacle, il devient figurant au Châtelet et à Mogador, puis au cinéma à la veille de la guerre. Il est passé par le Conservatoire et débute au théâtre, en 1940, dans le Loup-garou de Roger Vitrac, mis en scène par Raymond Rouleau. C'est un four. Serge Reggiani retourne au Conservatoire et décroche un premier prix de comédie et de tragédie. Il met en pratique son apprentissage le plus vit possible, au théâtre, un peu au cinéma. A l'occasion, il fait le coup de poing avec ceux que le fascisme, les dictatures attirent. Les bruits de bottes se rapprochent.
Il dit des poèmes au cabaret d'Agnès Capri. Paris est bientôt occupé. Reggiani est dans Britannicus, avec Jean Marais metteur en scène, puis il y a Jean Cocteau et Les Parents terribles. Après neuf représentations en 1942, la pièce est interdite, à la suite de troubles provoqués par les miliciens français. Les Italiens se souviennent du nom de Reggiani et le rappellent sous les drapeaux. Les Allemands voudraient l'envoyer au STO. Avec Yves Allégret et sa femme Simone Signoret, avec Danièle Delorme et Daniel Gélin, avec ses parents, sa première épouse, Janine Darcey, Reggiani part pour quelques mois de planque. A la Libération, il reprend le théâtre, bien sûr, mais le cinéma de plus en plus, qui, après Le Carrefour des enfants perdus, de Léo Joannon (1943), le sollicite. Mais avant tout, c'est le contact direct avec le public qui le fait frémir. Il sera toujours persuadé que des textes forts, des gestes d'acteurs permettent d'établir le lien avec le peuple. Le théâtre, pour Reggiani, c'est Raimu, Jean Vilar, Gérard Philipe, plus tard Antoine Bourseiller qu'il ira rejoindre en 1967 au Centre dramatique du Sud-Est avec sa seconde femme, Annie Noël, pour transmettre ce qu'il a appris de Julien Bertheau, Raymond Rouleau, Michel Vitold.
En 1949, Reggiani est Kataiev dans Les Justes, d'Albert Camus. Il a été naturalisé français en 1948, il s'essaye à la mise en scène en 1951 avec un Hamlet dont il est l'interprète principal. L'année suivante, il devient à jamais Manda dansle film de Jacques Becker Casque d'or. Air de voyou, moustache sombre, clope au bec, le personnage lui colle à la peau après qu'on s'est habitué à Reggiani en acteur de cinéma dans Les Portes de la nuit, de Marcel Carné (1946) ou Les Amants de Vérone, d'André Cayatte (1949). Jusqu'en 1980 il sera à l'affiche d'au moins un film chaque année. Il tourne beaucoup, des succès, des légèretés, quelques ratages.
Au théâtre, il va créer le rôle de Franz dans Les Séquestrés d'Altona, de Jean-Paul Sartre. Ceux qui l'ont vu, au théâtre de la Renaissance en 1959, s'en souviennent encore. Ceux qui ne l'ont pas vu ont tout lu sur la performance - le mot existait-il alors ? - de Reggiani. Il maigrit, sort de scène lessivé, se perd au plus profond du rôle parce que le texte nécessitait cet engagement physique. On est en pleine guerre d'Algérie. Le thème de la pièce, la responsabilité de l'individu devant les crimes collectifs et la torture, est sensible. La pièce part en tournée. La troupe est protégée dans ses déplacements. Cinq cents représentations, quatre ans à l'affiche. En 1965, avec l'accord de Sartre, Reggiani reprend la pièce durant deux mois, pour l'épuiser totalement.
La chanson vient alors que Reggiani a dépassé la quarantaine. D'abord, il ne suscite pas l'enthousiasme. La France n'aime guère le mélange des genres. Jacques Canetti, découvreur de Jacques Brel, de Georges Brassens, patron du cabaret les Trois Baudets, lui propose d'enregistrer Boris Vian en 1964. Le disque est un succès. Serge Reggiani a une voix, vibrante, grave, présente. Sur la scène, Reggiani qui connaît pourtant les planches, découvre la peur avec la solitude du chanteur de fond. Barbara lui trouve un petit quelque chose de possible, le fait travailler. Après Vian, Reggiani trouve les auteurs qu'il va pouvoir servir, en interprète, en tragédien, en comique. Pour son deuxième disque, en 1967, les chansons sont de Georges Moustaki, Serge Gainsbourg, Henri Gougaud, Jean-Loup Dabadie, Albert Vidalie.
En deux disques, il a bâti l'essentiel de son futur répertoire : Arthur, Le Déserteur, Les loups sont entrés dans Paris, Sarah, Ma solitude, Le Petit Garçon, Ma liberté, en attendant Madame Nostalgie, Le Souffleur, L'Italien, Venise n'est pas en Italie, Le Barbier de Belleville. D'autres auteurs viendront : Claude Lemesle, un fidèle, comme l'est le pianiste Raymond Bernard, Claude Roy, Bernard Dimey... Et puis les poètes Apollinaire, Baudelaire, Verlaine, Prévert...
Pour la scène Reggiani trouve des trucs. Il se rassure en jouant aux cartes avec les musiciens, écrase d'une certaine manière une dernière cigarette avant le gouffre. Et puis il lui faut démarrer par une chanson qui soit lui, où il se retrouve : c'est L'Italien, un repère qu'il ne lâchera plus. Dans la grande tradition du music-hall, Reggiani va connaître toutes les salles : le cabaret, la Mutualité, Bobino (où il fait rituellement ses rentrées), l'Olympia, les galas dans les théâtres de variété partout en France, le Palais des congrès. Il n'ira ni au Zénith, ni à Bercy, car il a besoin de l'intimité du public. Dans ses chansons, sur la scène Reggiani balance ses faiblesses, ses peurs. Il donne de l'ironie, une amertume aux phrases les plus simples. Humain, trop humain, Reggiani a des périodes de dépression, des passages à vide, est rattrapé par l'alcoolisme, le suicide de son fils aîné, Stéphan.
Au milieu des années 1980, alors qu'il est revenu au cinéma avec La Mort de l'apiculteur, de Theo Angelopoulos, Reggiani apprend la lenteur devant la toile. Il ne se prétend pas autre chose qu'un bon peintre amateur, expose régulièrement depuis 1989. En 1995, il se livre d'une manière détournée dans Dernier courrier avant la nuit, un recueil de lettres imaginaires qui sont autant de portraits d'amis (les frères Prévert, Lino Ventura, Simone Signoret) des hommages (Picasso, Piaf, Camus), des souvenirs. Noëlle Adam-Chaplin, sa troisième femme épousée en 1975, y est fêtée, ainsi que Stephan, qui s'était perdu dans les traces du père sur scène.
Ces dernières années, il fallait le voir, non pas dans la protection événementielle d'un de ces retours sur une scène parisienne - en février, il avait fait son dernier Olympia -, mais au hasard d'un soir, dans une de ces salles pas toujours faites pour la musique, dans la lueur un peu bleutée d'un prompteur où défilaient les paroles en cas d'oubli, de défaillances. Pour peu que la salle lui réponde, il s'épanouissait au fil des chansons. Au corps vacillant, vague, Reggiani substituait le corps habité, la déclamation du texte, la vie toujours bouillonnante, la classe, le charme et la révolte.
Sylvain Siclier/LE MONDE
Qu'est-ce qui fait qu'un acteur, un chanteur devient populaire ? Presque rien. Un ou deux rôles où l'on finit par confondre le personnage avec son créateur, quelques ritournelles qui restent dans la mémoire, une silhouette, une dégaine qui passe les générations, les modes, le temps.
Serge Reggiani, mort dans la nuit du jeudi 22 au vendredi 23 juillet d'un arrêt cardiaque à son domicile parisien, avait acquis ce statut d'artiste populaire avec cette retenue, ce petit plus de discrétion qui lui permettait de se tenir à l'écart de la starification et qui nous le rendait étonnamment familier.
Au théâtre, sa première discipline artistique, il sera à jamais Franz von Gerlach, nazi hanté, dans Les Séquestrés d'Altona, de Jean-Paul Sartre ; au cinéma il est Manda, l'amant maudit de Simone Signoret dans Casque d'or, de Jacques Becker ; sur la scène des music-hall, en veston et pantalon noir, il endosse d'autres rôles, passant de La Java des bombes atomiques à Les Loups sont entrés dans Paris, Ma Solitude ou Venise n'est pas en Italie. Le mot de carrière ne lui convenait pas, parlons plutôt d'un parcours, d'un jeu incessant. Artisan, saltimbanque, voilà qui lui plaisait. Sur le tard, au milieu des années 1980, il s'était mis à la peinture, pour réactiver son envie de découvrir.
Serge Reggiani, né à Reggio Emilia, près de Parme, en Italie du Nord, le 2 mai 1922, est fils unique. Le père est dans la coiffure, associé avec un parent dans une boutique qui vivote. La mère, en usine depuis l'âge de sept ans, chante, à la maison, des airs d'opéra. L'Italie fasciste exalte des convictions qui ne sont pas celles de la famille, l'argent manque. Les Reggiani émigrent, arrivent à Yvetot (Normandie) en 1930. Puis c'est Paris. Serge Reggiani vit son adolescence dans ces endroits où il existe de vraies vies de quartier, Tolbiac, Charonne, le faubourg Saint-Denis.
La coiffure, Reggiani fils a bien essayé, mais il n'est pas doué. L'opéra... il a un beau timbre de baryton, fait de la figuration silencieuse au Châtelet, à Mogador pour ramener quelques francs à la maison. Quand on est un gamin des faubourgs, qu'on veut sortir d'un milieu modeste il y a aussi le sport. Le vélo, la boxe. Il s'y met, se voit champion du monde. Plus tard, il fera même du karaté. Mais c'est finalement le théâtre qui l'appelle. Attiré par le monde du spectacle, il devient figurant au Châtelet et à Mogador, puis au cinéma à la veille de la guerre. Il est passé par le Conservatoire et débute au théâtre, en 1940, dans le Loup-garou de Roger Vitrac, mis en scène par Raymond Rouleau. C'est un four. Serge Reggiani retourne au Conservatoire et décroche un premier prix de comédie et de tragédie. Il met en pratique son apprentissage le plus vit possible, au théâtre, un peu au cinéma. A l'occasion, il fait le coup de poing avec ceux que le fascisme, les dictatures attirent. Les bruits de bottes se rapprochent.
Il dit des poèmes au cabaret d'Agnès Capri. Paris est bientôt occupé. Reggiani est dans Britannicus, avec Jean Marais metteur en scène, puis il y a Jean Cocteau et Les Parents terribles. Après neuf représentations en 1942, la pièce est interdite, à la suite de troubles provoqués par les miliciens français. Les Italiens se souviennent du nom de Reggiani et le rappellent sous les drapeaux. Les Allemands voudraient l'envoyer au STO. Avec Yves Allégret et sa femme Simone Signoret, avec Danièle Delorme et Daniel Gélin, avec ses parents, sa première épouse, Janine Darcey, Reggiani part pour quelques mois de planque. A la Libération, il reprend le théâtre, bien sûr, mais le cinéma de plus en plus, qui, après Le Carrefour des enfants perdus, de Léo Joannon (1943), le sollicite. Mais avant tout, c'est le contact direct avec le public qui le fait frémir. Il sera toujours persuadé que des textes forts, des gestes d'acteurs permettent d'établir le lien avec le peuple. Le théâtre, pour Reggiani, c'est Raimu, Jean Vilar, Gérard Philipe, plus tard Antoine Bourseiller qu'il ira rejoindre en 1967 au Centre dramatique du Sud-Est avec sa seconde femme, Annie Noël, pour transmettre ce qu'il a appris de Julien Bertheau, Raymond Rouleau, Michel Vitold.
"Dans les dernières années de sa vie,
d'accident cardiaque en repos forcé,
chacun de ses retours à la scène
a semblé une résurrection."
En 1949, Reggiani est Kataiev dans Les Justes, d'Albert Camus. Il a été naturalisé français en 1948, il s'essaye à la mise en scène en 1951 avec un Hamlet dont il est l'interprète principal. L'année suivante, il devient à jamais Manda dansle film de Jacques Becker Casque d'or. Air de voyou, moustache sombre, clope au bec, le personnage lui colle à la peau après qu'on s'est habitué à Reggiani en acteur de cinéma dans Les Portes de la nuit, de Marcel Carné (1946) ou Les Amants de Vérone, d'André Cayatte (1949). Jusqu'en 1980 il sera à l'affiche d'au moins un film chaque année. Il tourne beaucoup, des succès, des légèretés, quelques ratages.
Au théâtre, il va créer le rôle de Franz dans Les Séquestrés d'Altona, de Jean-Paul Sartre. Ceux qui l'ont vu, au théâtre de la Renaissance en 1959, s'en souviennent encore. Ceux qui ne l'ont pas vu ont tout lu sur la performance - le mot existait-il alors ? - de Reggiani. Il maigrit, sort de scène lessivé, se perd au plus profond du rôle parce que le texte nécessitait cet engagement physique. On est en pleine guerre d'Algérie. Le thème de la pièce, la responsabilité de l'individu devant les crimes collectifs et la torture, est sensible. La pièce part en tournée. La troupe est protégée dans ses déplacements. Cinq cents représentations, quatre ans à l'affiche. En 1965, avec l'accord de Sartre, Reggiani reprend la pièce durant deux mois, pour l'épuiser totalement.
La chanson vient alors que Reggiani a dépassé la quarantaine. D'abord, il ne suscite pas l'enthousiasme. La France n'aime guère le mélange des genres. Jacques Canetti, découvreur de Jacques Brel, de Georges Brassens, patron du cabaret les Trois Baudets, lui propose d'enregistrer Boris Vian en 1964. Le disque est un succès. Serge Reggiani a une voix, vibrante, grave, présente. Sur la scène, Reggiani qui connaît pourtant les planches, découvre la peur avec la solitude du chanteur de fond. Barbara lui trouve un petit quelque chose de possible, le fait travailler. Après Vian, Reggiani trouve les auteurs qu'il va pouvoir servir, en interprète, en tragédien, en comique. Pour son deuxième disque, en 1967, les chansons sont de Georges Moustaki, Serge Gainsbourg, Henri Gougaud, Jean-Loup Dabadie, Albert Vidalie.
En deux disques, il a bâti l'essentiel de son futur répertoire : Arthur, Le Déserteur, Les loups sont entrés dans Paris, Sarah, Ma solitude, Le Petit Garçon, Ma liberté, en attendant Madame Nostalgie, Le Souffleur, L'Italien, Venise n'est pas en Italie, Le Barbier de Belleville. D'autres auteurs viendront : Claude Lemesle, un fidèle, comme l'est le pianiste Raymond Bernard, Claude Roy, Bernard Dimey... Et puis les poètes Apollinaire, Baudelaire, Verlaine, Prévert...
Pour la scène Reggiani trouve des trucs. Il se rassure en jouant aux cartes avec les musiciens, écrase d'une certaine manière une dernière cigarette avant le gouffre. Et puis il lui faut démarrer par une chanson qui soit lui, où il se retrouve : c'est L'Italien, un repère qu'il ne lâchera plus. Dans la grande tradition du music-hall, Reggiani va connaître toutes les salles : le cabaret, la Mutualité, Bobino (où il fait rituellement ses rentrées), l'Olympia, les galas dans les théâtres de variété partout en France, le Palais des congrès. Il n'ira ni au Zénith, ni à Bercy, car il a besoin de l'intimité du public. Dans ses chansons, sur la scène Reggiani balance ses faiblesses, ses peurs. Il donne de l'ironie, une amertume aux phrases les plus simples. Humain, trop humain, Reggiani a des périodes de dépression, des passages à vide, est rattrapé par l'alcoolisme, le suicide de son fils aîné, Stéphan.
Au milieu des années 1980, alors qu'il est revenu au cinéma avec La Mort de l'apiculteur, de Theo Angelopoulos, Reggiani apprend la lenteur devant la toile. Il ne se prétend pas autre chose qu'un bon peintre amateur, expose régulièrement depuis 1989. En 1995, il se livre d'une manière détournée dans Dernier courrier avant la nuit, un recueil de lettres imaginaires qui sont autant de portraits d'amis (les frères Prévert, Lino Ventura, Simone Signoret) des hommages (Picasso, Piaf, Camus), des souvenirs. Noëlle Adam-Chaplin, sa troisième femme épousée en 1975, y est fêtée, ainsi que Stephan, qui s'était perdu dans les traces du père sur scène.
Ces dernières années, il fallait le voir, non pas dans la protection événementielle d'un de ces retours sur une scène parisienne - en février, il avait fait son dernier Olympia -, mais au hasard d'un soir, dans une de ces salles pas toujours faites pour la musique, dans la lueur un peu bleutée d'un prompteur où défilaient les paroles en cas d'oubli, de défaillances. Pour peu que la salle lui réponde, il s'épanouissait au fil des chansons. Au corps vacillant, vague, Reggiani substituait le corps habité, la déclamation du texte, la vie toujours bouillonnante, la classe, le charme et la révolte.
Sylvain Siclier/LE MONDE
<< Home